Mon Père, le 29 septembre prochain aura lieu la bénédiction de la nouvelle église conventuelle de la Fraternité. Quelle est la signification symbolique et spirituelle de cette cérémonie ?

Une phrase de Romano Guardini éclairera ma réponse : « Le monde n’est ouvert qu’à un seul endroit, en Jésus-Christ ». Dieu est venu du ciel sur terre pour crever la voute de l’ennui et du mal et pulvériser ainsi l’absurde qui semble entourer le destin des hommes depuis la chute. Il s’est incarné pour nous révéler que nous ne sommes pas dans une impasse, mais appelés à la Joie. L’échelle de cette Joie, c’est la Croix. Et la messe, c’est la présence de la Croix sur notre terre. Les églises sont les points où cette échelle touche la terre (cf. Gn 28, 10-18). Nous en plantons une sur notre terre de Mayenne. Elle sera, au cœur de notre vie conventuelle, le centre de notre montée hors de la grisaille, par l’adoration et la louange, et de la descente de la beauté de Dieu sur la laideur des hommes, par la propitiation. Si on veut moderniser l’antique image de l’échelle de Jacob, on dira qu’une église, c’est un gigantesque aspirateur du péché des hommes dans la miséricorde de Dieu, et un puisant ascenseur vers la Lumière béatifique du paradis.

Pourquoi avoir construit une église quand on en détruit par ailleurs ?

« Sommes la jeunesse du monde », disait Charette aux idéologues génocidaires de son temps ! Le catholicisme colle à la nature des hommes. Il bâtit des lieux de médiation entre les hommes et Dieu, et il forge ainsi un tissu de vie solidaire dans l’amour entre les hommes. Notre société dépressive, non seulement tue des enfants dans le sein de leur maman, mais elle rend grise la vie des survivants, par le triste primat du « rentable ». Au lieu de se lamenter sur la perte de la gratuité, du sens de l’élégance, de la politesse, de la vraie solidarité, nous préférons construire un édifice qui ne sert à rien selon les critères de la postmodernité, mais qui attire tout le monde (sans distinction d’âge ou de milieu social), parce qu’il est beau et plein de mystère, parce qu’on s’y adresse à un divin Maître dans une langue exquise, qu’on y entend des chants qui élèvent les cœurs, qu’on y trouve des confessionnaux pour échapper au triste saccage des âmes, et des cérémonies venues du fond des âges pour préluder au ballet céleste des anges immortels.

Le chantier a commencé en décembre 2015. En près de trois ans d’intense activité, quels obstacles avez-vous rencontré ?

En fait le projet date de l’an 2000. Il a été, après moult débats, décidé et précisé par nos Chapitres en 2007 et 2011. Puis, il y a eu la demande du permis de construire qui nous a donné des inquiétudes, heureusement résolues. Ensuite, des angoisses se sont fait jour pour le type de moyens à mettre en œuvre dans la campagne de financement, l’appel ou non à une société de communication, l’ampleur et le style de la publicité. Le choix de l’architecte pour la phase d’exécution, les rapports avec les organismes de contrôle et les entreprises dans la réalisation, ont donné lieu, comme c’est compréhensible, à quelques tensions. Les retards et les difficultés techniques, dues notamment à la nature du sol (mélange improbable de glaise et de blocs rocheux) et aux aléas des entreprises parfois très occupées (c’est bon signe), n’ont pas manqués. Et puis, tout au long de la campagne, les inquiétudes de notre économe, qui a dû jouer au trapéziste sans filet… assuré par monseigneur saint Joseph !

Êtes-vous au bout du chantier « Des Pierres qui Prêchent » ?

Non certes. Il nous reste à aménager toute la crypte avec vingt autels pour la célébration des messes matinales, sans compter les ameublements du chœur et de la sacristie, la réalisation d’un autel en pierre, celle des vitraux.... et le remboursement de l’emprunt ! DPQP ne sera clos officiellement que fin septembre 2019.

Et si vous deviez le refaire, vous seriez prêt à recommencer ?

Sans hésiter une minute. Il ne faut jamais bouder les aventures « rugueuses » qui nous grandissent.

Quelle leçon tirez-vous de cette aventure humaine et religieuse ?

Que la prudence n’est pas la seule précaution. Il est sage de prendre des risques lorsque l’enjeu est proportionné : le cadre adapté à des religieux cherchant le salut des âmes par la lumière. Beaucoup autour de nous doutaient qu’une petite Fraternité puisse relever en trois ans le défi d’un chantier de 6 millions, nous avons prouvé le mouvement en marchant, ou plutôt en surfant sur les ailes des anges qui protègent le chantier. Nous avons beaucoup appris durant ces années, tant sur le plan technique que pour les relations humaines. La communauté s’est soudée en progressant vers un but difficile, et a découvert la qualité des ouvriers de nos entreprises locales (avec lesquels des liens forts se sont parfois créés) ainsi que la beauté de leurs métiers. DPQP a aussi été pour nous la constitution d’un réseau de milliers de bienfaiteurs fidèles. Leur enthousiasme nous a vraiment portés : c’est émouvant de lire les messages accompagnant leurs dons. Nous sommes motivés pour nous sacrifier pour tous ceux qui ont confié des intentions, souvent fort douloureuses.

Un bâtiment n’est jamais une fin en soi. Après avoir construit une église, une hôtellerie, un cloître, quels sont les objectifs que vous fixez à votre communauté ?

Nous enraciner plus que jamais dans l’adoration, l’étude et la prédication des vérités du salut. Livrer aux autres le fruit de notre contemplation, et ceci par Marie, notamment dans les Retraites du Rosaire. Montrer la fécondité heureuse des pédagogies traditionnelles de la foi, et en faire bénéficier le plus d’âmes possibles. Je pense à la liturgie traditionnelle, si expressive du sacrifice propitiatoire du Christ ; à la riche pensée de saint Thomas d’Aquin (nécessaire pour répondre à la crise dans l’Église et aux défis de la postmodernité), doctrine qui sous-tend notre revue Sedes Sapientiæ et toutes nos prédications ; aux médiations de la vertu de religion, qui donnent à tous la si grande joie de se sacrifier pour que les autres arrivent au salut éternel.

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