Un bivouac, dans le désert, un peu avant l’aube.
Le spectacle quotidien commence. L’horizon entier à l’est se met lentement à vibrer. La lumière naissante redessine toute créature, comme au premier jour. Et la couleur vient, les êtres s’enflamment, le désert, après une nuit profonde ornée de la voie lactée, surgit et dévoile ses interminables vagues de sable. Comme Dieu est grand dans ses œuvres !
Depuis plusieurs semaines, je progresse dans le désert au sein d’une caravane. Les journées sont longues à dos de chameau. Le mouvement souple des bêtes imprime au conducteur une sorte de langueur qui est aux frontières du sommeil. Nous sommes comme des marins assommés par le rythme des vagues. Sur une mer de sable, interminable, nous avançons. Mais, pour Dieu, mille ans sont comme un jour !
Il faut du courage pour affronter cette immensité. À l’échelle de l’homme, un insecte est minuscule. Et nous sommes les insectes du désert, cheminant en colonne, comme des fourmis consciencieuses. L’homme, au milieu de ces étendues et sous ce ciel d’une pureté que rien ne trouble, se sent si petit qu’il se demande si Dieu
le voit encore. Du haut des cieux, le Seigneur voit ; il regarde tous les fils des hommes.
Me croirez-vous, si je vous dis que nous courons après une étoile ? – Une caravane de fous, penserez-vous. S’intéresser aux étoiles est bon pour les menteurs ou les insensés : ceux qui disent y voir l’avenir et ceux qui les croient. Les gens sérieux ne lèvent pas la tête, ils la gardent fixée au sol, là où se passent les choses réelles. Ils n’ont pas de temps à perdre à bayer aux corneilles, à compter les étoiles. Aussi utile que de compter les moutons dans son sommeil ! – Mais Dieu compte les étoiles et les appelle chacune par son nom !
Au milieu du désert, un homme seul nous fait signe au loin. La loi du désert demande qu’on s’arrête. La caravane marche à sa rencontre. En peu de mots, l’homme apprend notre quête.
– Et pourquoi perdre votre temps à faire la chasse à l’étoile ?
– Parce que les mages qui commandent la caravane ont vu une étoile étonnante à l’Orient.
– Et ils veulent en savoir plus sur ce fait extraordinaire ?
– En fait, ils en savent déjà beaucoup et ils estiment que cette étoile annonce la naissance d’un roi…
– Vous êtes en train de me dire que ces savants ont vu dans le ciel un prodige qui annonce la réalisation de la prophétie messianique ?
– Oui, c’est tout à fait cela !
– Et ils suivent l’étoile pour trouver le petit roi et l’adorer ?
– Oui, vous avez tout compris !
– Eh bien ! Je suis au regret de vous faire savoir que « suivre l’étoile » ne fait pas partie des motifs de « déplacement dérogatoire » et qu’en conséquence je verbalise à hauteur de 135 € par tête de pipe. Et comme je ne suis pas un mauvais bougre, je vous fais grâce pour les chameaux qui ne sont pas équipés de masques.
Comme dit l’Écriture, le nombre des sots est infini.
Père Augustin-Marie
Actuailes n°124 - mercredi 9 décembre 2020