« Un autel qui prêche »

Au centre de l’autel, Notre-Dame du Rosaire regarde les fidèles avec attention. Elle a ouvert son manteau pour y révéler, blottis contre elle et protégés, un petit peuple sculpté et coloré où les religieux sont en nombre. Le retable vient d’être ouvert, la messe pontificale en l’honneur de Notre-Dame du Rosaire va commencer, célébrée par Mgr Alain Castet, évêque émérite de Luçon, qui a accepté de remplacer le Cardinal Sarah, retenu par le consistoire du même jour.

Prier avec du beau

L’ouverture du retable vient couronner trois ans d’attente, de dons et de prières : l’église du couvent Saint-Thomas-d’Aquin, à Chémeré-le-Roi, vient enfin de voir son autel consacré, autel monumental, une œuvre d’art, un joyau gothique peint, sculpté, doré, gravé, parlant. Trois ans où la communauté a vu s’affermir et s’élargir autour d’elle une foule d’amis et de voisins, venus en nombre (ils sont plus de mille à se presser dans l’église et au dehors), séduits par l’idée de prier avec du beau. L’un d’entre eux cite saint Pie X : « Je veux que mon peuple prie sur de la beauté. » Un autre évoque le curé d’Ars, pour qui « rien n’était trop beau pour le Bon Dieu » et qui, dans sa soutane misérable, allait acheter les ornements les plus somptueux. Un mécène confie : « C’est tellement unique et magnifique de voir une communauté qui offre du beau au Seigneur ! Les gens sont saisis par la beauté, ils ne ressortent pas de l’église avec la même foi, ils ont l’impression d’être au paradis. On sort en étant heureux. » Un sentiment partagé par tous les participants, des plus jeunes aux plus âgés.

Pour ce donateur généreux comme pour l’artiste qui a conçu l’autel et sculpté la Vierge, la rencontre avec les frères de la Fraternité Saint-Vincent-Ferrier, l’apôtre des temps difficiles, a été décisive. Le premier affirme avoir réappris ce qu’il avait perdu, avoir été remis dans l’axe, le second, Remy Insam, dit à quel point la Semaine Sainte passée à Chémeré-le-Roi en 2021 a été féconde. Mgr Castet ne dit pas autre chose. Cet autel si incarné lui plaît, cette communauté qui grandit aussi : « Le monde de Dieu touche le monde des hommes par la statuaire, on entre dans le mystère. J’aime ces communautés tournées vers l’avenir, qui espèrent, qui ne règlent pas leur vie sur la fin d’un monde. »

L’autel est le Christ

Avant que les volets du retable ne s’ouvrent, Mgr Castet avait consacré l’autel. Une heure d’un rituel minutieux et magnifique où l’autel, qui figure le Christ, est comme amené à la vie, installé dans la communauté, concentrant tous les regards : « toute la communauté est tournée vers le Christ, elle s’avance vers le monde de Dieu, qui vient vers nous par la présence de l’eucharistie », commente l’évêque. Comme l’église est orientée plein est, vers le Christ qui vient, le soleil traverse les grandes verrières et ses rayons éclairent les lentes fumées d’encens : « on lui donna beaucoup de parfums pour qu’il les brûlât devant l’autel d’or qui est devant les yeux du Seigneur », chante la schola. Sur la grande table de pierre, une cavité, le sépulcre, va bientôt recevoir les reliques des saints. Avec le ciment, dont l’élaboration à base de sel, de cendres, de vin et d’eau a pris de longues minutes (« Dieu très haut, qui gardez ce qui est en haut, au milieu et en bas, qui enveloppez et renfermez en vous-même toute la création, bénissez ce ciment, votre créature »), l’évêque scelle d’une pierre le sépulcre après y avoir déposé des reliques de saint Pierre de Vérone et de saint Jean de Gorcum, martyrs dominicains : « Dieu, qui fondez votre demeure éternelle sur toute l’assemblée des saints, donnez à votre édifice des accroissements célestes ; que ceux dont nous enfermons ici les reliques selon une pieuse coutume, nous aident toujours par leurs mérites. » Remy Insam, qui a créé le retable, l’aide.

Puis Mgr Castet porte son attention sur les cinq croix gravées sur la large pierre d’autel, adaptée au rite dominicain, cinq croix qui symbolisent les cinq plaies du Christ. Il les oint de saint chrême, il trace sur elles cinq croix d’encens, qu’on fera brûler : les saintes femmes avaient ainsi embaumé le corps du Christ. Dehors, la foule fervente suit la cérémonie sur des écrans. Dedans, le chœur est rempli de tous les amis de la Fraternité Saint-Vincent-Ferrier, comme l’abbé Komorowski, supérieur général de la Fraternité Saint-Pierre, Dom Pateau et Dom Louis-Marie, respectivement pères abbés de Fontgombault et du Barroux, en tout une quarantaine de supérieurs, de prêtres et de religieuses : tous sont venus célébrer, en amis, en proches, en frères, ce moment important dans la vie du couvent Saint-Thomas-d’Aquin. Une communauté qui grandit, bien intégrée en Mayenne, et dont « l’authenticité de la vie de prière et la qualité de la vie intellectuelle forcent le respect et la bienveillance même de ceux qui n’ont pas cette sensibilité », comme le souligne Mgr Castet.

Une communauté vivante

Dans les plis du manteau de la Vierge, un homme coiffé d’un béret évoque la France, une religieuse à lunettes est contemporaine et le sculpteur, de son propre chef, a donné aux moines les traits des frères de la communauté. Mais, dans l’une des images que les frères ont offertes à ceux qui sont venus, Notre-Dame du Rosaire est un peu différente : à sa droite, les religieux, à sa gauche, les laïcs, petite portion de ceux qui viennent, toujours plus nombreux, la prier ici depuis plus de quarante ans. Après la célébration, ils sont près de mille à partager un repas festif. Deux jeunes filles qui vont à la messe à La Roë confiaient leur joie d’avoir assisté à une cérémonie « magnifique, hors du temps, figure d’une transcendance qui nous dépasse, qui n’est pas une question d’époque », un autre fidèle venu « en ami, en voisin, en chrétien » se réjouissait de voir la Fraternité s’enraciner, grandir et contribuer à « créer des chefs-d’œuvre au nom de Dieu ». Tous ont le sentiment de partager fraternellement, en ce jour, le beau et le vrai, sous l’égide de Notre Dame : « En moi est toute la grâce de la voie et de la vérité. J’ai porté des fruits comme le rosier planté près des eaux courantes. »

Article paru dans France Catholique (n° 3831, 27 octobre 2023)