Comme son nom l’indique, cette liturgie fait partie des « liturgies d’ordre » qui sont une caractéristique de l’Occident latin. A la suite de Cluny, des ordres centralisés comme les cisterciens, les chartreux ou les prémontrés ont voulu une liturgie qui ne soit pas locale, c'est-à-dire propre à un diocèse mais commune à tout l’ordre. Les dominicains, sous l’impulsion du bienheureux Humbert de Romans, unifièrent leur liturgie. Elaborée au XIIIe siècle, la liturgie dominicaine a pu se prévaloir de plus deux cent ans d’ancienneté pour être maintenue après la promulgation des livres liturgiques à la suite du Concile de Trente. Gardée comme un trésor jusqu’au récent concile, elle fut délaissée en 1968 par les dominicains qui adoptèrent la liturgie réformée. Concédée par indult à la Fraternité en 1988, elle trouve un certain regain de vigueur chez les dominicains depuis le motu proprio Summorum Pontificum.
Cette liturgie fait partie des liturgies romaines, comme les autres liturgies latines conservées depuis le concile de Trente, à l’exception de l’ambrosienne de Milan et de la mozarabe de Tolède. La messe de ces liturgies a le canon romain et suit le même ordre des parties de la messe, de la confession jusqu’à la bénédiction finale. Mais ces liturgies se différencient par divers formulaires de prières dans l’ordinaire de la messe. Ainsi, dans la liturgie dominicaine, les prières de la confession au début de la messe, les prières d’offertoire et de communion diffèrent des prières romaines : le prêtre offre en même temps le pain et le vin, la patène étant posée sur le calice, en disant une seule prière, au lieu de distinguer l’oblation du vin de celle du pain. De même, avant de consommer les saintes espèces, le prêtre récite une seule prière pour les deux espèces au lieu de deux (une avant chaque espèce).
La liturgie dominicaine, à l’instar des liturgies d’ordre comme la clunisienne, la carmélitaine ou la cartusienne est une liturgie de couvent à la différence du rit romain qui est une liturgie de cour, issue de la curie romaine. Ainsi, il n’y a pas de cérémoniaire. En revanche, il existe une véritable interaction entre le sanctuaire et le chœur pendant la messe. Le chantre a un rôle liturgique défini dans les cérémonies comme à la bénédiction des cierges de la chandeleur ou à la bénédiction des rameaux.
Par ailleurs, les frères qui servent la messe ne sont présents dans le sanctuaire que le temps de leur fonction. C’est le cas du thuriféraire qui est dans le sanctuaire, de l’évangile à la consécration ; le reste du temps, il est au chœur avec les autres frères. Cette liturgie montre la fonction de chaque ordre. Ainsi le sous-diacre verse le vin dans le calice en plus de l’eau comme le prévoit le texte de l’ordination de cet ordre. De même, la liturgie nous montre la hiérarchie des ministres : dans la messe solennelle, les ministres sacrés servent le prêtre, les acolytes, les ministres sacrés. Ainsi, le lavabo du prêtre est à la charge des ministres sacrés et non des acolytes.
Comme les liturgies monastiques, ce rit présente un certain déploiement. Ainsi, à la messe solennelle, le célébrant se déplace toujours à l’autel avec quatre ministres, les ministres sacrés et les acolytes. Ces déplacements à cinq autour de l’autel ressemblent ainsi à un véritable ballet sacré. La messe est aussi l’occasion de mouvements plus solennels que dans le rit romain, comme la procession du calice pendant le Gloria depuis la sacristie jusqu’à l’autel, le remplissage du calice à la banquette, la procession de la croix depuis la sacristie pour le chant de l’évangile.
Un autre aspect de cette liturgie est la note mariale. A travers de nombreux éléments, les frères montrent leur dévotion envers leur mère du Ciel. Tous les soirs de l’année, ils chantent le Salve Regina sur le ton solennel à la fin des complies en se rendant en procession à l’autel de la Vierge. Ils y ajoutent le samedi les litanies de Lorette. Dans les hymnes de l’office, les jours de fête de la Vierge, est ajoutée la strophe : « Marie, Mère de grâce, Mère de miséricorde, Contre l’ennemi protégez-nous, Et à l’heure de la mort recevez-nous ». Aux Complies des fêtes de la Vierge, les antiennes sur le Psaumes et pour le Nunc dimittis sont propres, comme pour les temps de fête du temporal et les fêtes de Notre-Seigneur.
La liturgie dominicaine apparaît comme une liturgie qui convient à des religieux voués à la prédication. Le culte solennel de la liturgie, en plus de l’oraison, leur permet d’avoir une contemplation des mystères divins qu’ils sont amenés à transmettre dans la prédication. « L’œuvre la plus haute en fait de contemplation, c’est la messe » nous dit saint Vincent Ferrier. La note conventuelle renforce leur apostolat dans son aspect communautaire : c’est la communauté qui prêche. La note mariale correspond à l’attention qu’ils doivent porter au rôle de Marie dans le plan du salut, comme le précisent les constitutions de la Fraternité.