Homélie du Père Albert-Marie Crignon, publié dans le dernier numéro de Sedes Sapientiae (n° 169, septembre 2024).
Mes chers Frères, qui pourra nous introduire dans la connaissance du mystère de la Très sainte, très glorieuse et indivisible Trinité ? De tous les mystères que la foi nous révèle, celui-ci est le premier, le plus beau, le plus aimable et, en même temps, le plus impénétrable.
Je vous propose de prendre pour guide un poète, le plus grand, sans doute, des poètes catholiques, Dante Alighieri. Et, puisqu’il faut partir des créatures pour nous élever à la connaissance du Créateur, voici comment Dante décrit la manière dont le monde procède de Dieu : « comme trois flèches d’un arc à trois cordes […] ainsi l’effet à triple forme, rayonna de son Auteur… » (Paradis, XXIX, 22-28).
Le poète parle d’un seul arc, car Dieu est unique. Mais cet arc a trois cordes, car, dans l’unique essence divine, subsistent trois Personnes, le Père, le Fils et l’Esprit Saint. Et, comme l’homme est fait à l’image de Dieu, il est lui-même, d’une certaine façon, un et trine.
Quand Dieu crée une âme d’homme, c’est comme s’il tirait trois flèches : le Père lance la flèche de l’être pour imprimer dans la substance de l’âme le sceau de la Toute-Puissance ; le Fils décoche la flèche du vrai, pour faire briller dans son intelligence un éclat de la Sagesse infinie ; l’Esprit Saint tire la flèche du bien pour allumer dans sa volonté une nouvelle flamme, issue de l’éternel Amour.
Penchons-nous donc, mes chers Frères, sur une âme que l’archer divin vient de lancer dans le monde. Essayons d’entendre ce que lui disent les trois Personnes.
Le Père tout-puissant fait le don de l’être
« Mon enfant », lui dit Dieu le Père, « entends ma voix, car je t’appelle. Je suis Celui qui est. À toi, qui n’étais pas, il me plaît de faire, aujourd’hui, le premier de tous les dons, le don de l’existence. Viens à l’être, partage mon privilège, entre dans la joie de ton Père. Je suis le Principe sans principe ; je suis le Père sans origine, dont toute chose tire son origine ; je suis sans commencement ni fin et c’est par moi que tout commence, c’est en moi que tout s’achève. Je suis ton Père, je suis ton Créateur, je te façonne aujourd’hui, à mon image.
Que tu es belle, ma fille, que tu es belle ! J’ai mis sur toi le sceau de ma puissance infinie, je t’ai donné la dignité d’un être qui existe en lui-même, distinct de tout autre, distinct de moi-même. Et pour achever mon œuvre, je t’unis à la matière. Avec la collaboration de tes parents, je te donne un corps que tu animeras et par lequel tu me glorifieras. Par toi, ma gloire rayonnera un peu plus dans le monde visible, et les cieux et la terre chanteront mieux ma louange.
Ô mon enfant, cette existence que je te donne aujourd’hui, je ne te la reprendrai jamais. Vis, vis sans fin à l’image du Père éternel. Si tu dois connaître, pour un bref temps, la déchirure de la mort, moi, ton Père, je saurai bien la réparer. Viens à moi, connais-moi, aime-moi, et en moi, tu trouveras le repos pour l’éternité. »
Le Fils, Sagesse éternelle, fait le don de l’intelligence
Écoutons maintenant ce que dit Dieu le Fils à cette âme qu’il vient de créer, par une seule et même opération, avec le Père et l’Esprit Saint.
« Ma fille bien-aimée, entends ma voix. Je suis le Verbe du Père. Je suis la Parole unique par laquelle il pense et exprime éternellement toute sa gloire divine. Je suis Dieu issu de Dieu, Lumière née de la Lumière, consubstantiel au Père. Je suis son Fils unique, engendré de lui avant tous les siècles. Je suis la Sagesse éternelle et c’est de moi que provient tout ce qui, dans le monde visible et invisible, s’appelle vérité, ordre et beauté.
Le Père t’a fait le don de l’être. Je te fais le même don et j’y ajoute celui de l’intelligence. Reçois la dignité suprême d’être, à mon image, un esprit capable de connaître tout ce que j’ai fait et de me connaître, moi, ton Créateur. Comme une flèche de vérité, je te lance dans le monde. Viens, sois le témoin de ma lumière. Deviens à ton tour un flambeau de sagesse, pour qu’en s’approchant de toi, les hommes apprennent à me connaître et à m’aimer.
Ô ma fille, que tu es belle ! Déjà, je brûle d’amour pour toi, je veux faire de toi mon épouse. L’ennemi, je le sais, te convoite, il voudrait t’emprisonner dans les ténèbres du mensonge, où il s’est lui-même enfermé, le malheureux ! Mais tu apprendras bientôt que, pour toi, je me suis fait homme. Pour te sauver, j’ai combattu le diable et je l’ai vaincu en donnant ma vie pour toi, sur la Croix. Dans les eaux du baptême, par les mérites de mon sang, je te ferai bientôt naître à ma vie divine. Alors tu ne m’appelleras plus seulement ton Dieu, mais ton Ami et ton Époux.
Viens à moi, ô ma fille, connais-moi, aime-moi et tu vivras à jamais dans ma lumière. »
L’Esprit Saint, Amour éternel, fait le don de la volonté
L’être et l’intelligence sont-ils les seuls dons que fait la très sainte Trinité à l’âme qu’elle vient de créer ? Est-ce là le terme de ses libéralités ? Non, car, pour faire une personne créée à l’image des trois Personnes incréées, il faut encore le don suprême, qui lui permettra de se posséder elle-même et de se donner elle-même tout entière. Il faut le don de la volonté. Écoutons-donc ce que l’Esprit Saint dit à cette âme.
« Ô fille chérie du Père et du Fils, tu es aussi ma fille et je t’aime comme ils t’aiment. Comment pourrais-je ne pas t’aimer ? Car je suis l’Esprit Saint, le souffle d’amour du Père et du Fils. Si grand est l’amour dont ils s’aiment l’un l’autre que, dans l’éternel maintenant, je procède de l’un et de l’autre comme un Amour substantiel, comme leur nœud d’amour, à jamais indissoluble.
Ô ma fille, que tu es belle, que tu es aimable ! Vois, le Père t’a fait le don de l’être et le Fils celui de l’intelligence. Je te fais, moi aussi, ce double don et j’y ajoute celui de la volonté et de la liberté. Je te donne aujourd’hui le pouvoir d’aimer tout bien et de m’aimer moi, ton Dieu, le Bien suprême. Aime, ma fille ; aime-toi toi-même, aime ton prochain, aime tout ce qui est, pour l’amour du Premier Amour. Je te décoche comme une flèche de feu dans un monde glacé par le refus d’aimer. Que les hommes, en t’approchant, sentent la flamme de mon amour et s’y réchauffent.
Ô ma toute-belle, ma colombe, si tu savais comme je brûle de venir à toi et de faire en toi ma demeure, avec le Père et le Fils. Nous frappons à la porte de ton cœur, mais nous ne pouvons la forcer. Je t’ai faite libre et je ne peux entrer, si tu ne m’ouvres pas toi-même. Ouvre-nous et nous viendrons chez toi et nous ferons de toi notre nouveau Paradis pour l’éternité. »
Mes chers Frères, les trois personnes divines nous convient à des noces éternelles, ces noces qui se célèbrent, dans la lumière de gloire, entre la Trinité et l’âme qu’elle a prise pour épouse dans le sang de l’Agneau. Alors, en nous levant et en nous couchant, dans le travail et dans le repos, que nous soyons joyeux ou tristes, soucieux ou apaisés, répétons donc bien souvent : « Gloire au Père, et au Fils, et au Saint-Esprit. »