La double royauté du Christ-Roi
Hier soir, la solennité du Christ-Roi s’ouvrait à l’office de Vêpres. L’Eglise mettait sur nos lèvres ces paroles : « Une foule criminelle vocifère : « Nous ne voulons pas que le Christ règne » ». Dans cet hymne, l’Eglise nous rappelle qu’une grande part de notre société s’insurge contre le Christ. Beaucoup de nos contemporains refusent de se soumettre à sa Loi, de porter son joug qui est doux et son fardeau léger. Est-il nécessaire d’insister sur ce point ? Le laïcisme est devenu l’air que l’on respire chaque jour à pleins poumons. Il sature l’atmosphère, si bien que nous n’y prêtons même plus attention. Pour réagir à cet air toxique, le Pape Pie XI institua la fête du Christ-Roi. Elle est l’antidote préconisé par ce grand pape pour que nous rétablissions les droits de Dieu sur la société. Cette nécessité était déjà proclamée par l’apôtre saint Paul dans sa première épître aux Corinthiens : « C’est lui, Jésus-Christ, qui doit régner. Oportet autem illum regnare. » (I Co 15, 25). C’est une exigence pour que notre société retrouve la santé. Et elle ne la retrouvera qu’en reconnaissant les droits que Dieu possède sur elle. Voilà la solution au mal dont elle souffre. Faut-il le rappeler ? La doctrine du Christ-Roi n’est pas une belle idée, encore moins un concept abstrait déconnecté de la réalité, elle est un principe destiné à être appliqué à deux niveaux distincts : sur nos âmes d’abord et sur la société ensuite. La royauté du Christ est appelée à s’exercer invisiblement sur les consciences et visiblement sur le domaine temporel, à savoir la politique, les sciences et la culture. Elle a vocation à s’étendre selon ces deux directions.
I. Le double domaine de la royauté du Christ :
A. Sa royauté invisible sur les âmes :
Jésus-Christ veut d’abord et essentiellement régner dans les âmes d’une royauté d’amour, intérieure et universelle. C’est pourquoi le Christ répond à Pilate : « Mon royaume n’est point d’ici ». Cela signifie que son royaume est avant tout spirituel, il a pour but d’amener les âmes à la vie éternelle. Le Christ est un Roi au service de la Vérité. Il est venu en ce monde pour éclairer les intelligences et les faire adhérer à la vraie foi. La mission qu’il a reçue de son Père est de rendre témoignage à la Vérité qui rend libre. Son rôle est de délivrer les hommes de la misère spirituelle et de la damnation. Il est le Roi-Sauveur qui arrache des griffes du démon les âmes qui demeuraient sous le pouvoir de ce dernier. Pour éviter toute ambiguïté sur la nature de son royaume, le Christ explique à Pilate que sa royauté est différente de celle que les autres souverains exercent ici-bas. Il n’est pas un roi temporel. Pour preuve, dans la nuit du Jeudi-Saint, il s’est laissé arrêter par les soldats romains et conduire devant le gouverneur de Judée. Il ne possède pas d’armées victorieuses et il est dépourvu de l’appareil qui entoure habituellement les rois. Il n’est pas un Messie politique dont le but est d’établir à Jérusalem un pouvoir temporel avec des ministres et une cour de justice. Il est venu en ce monde pour illuminer surnaturellement tout homme qui s’approche de Lui. Faut-il en conclure que sa royauté se limite à la conscience individuelle ? Non, ce serait tomber dans l’erreur protestante. Ce serait même un blasphème que de reléguer son règne au fond des consciences. Cela reviendrait à nier que la religion possède droit de cité, comme si elle devait se cantonner au domaine privé. Malheureusement, cette erreur est très répandue et cela même parmi les catholiques. On peut parfois être tenté de garder ses convictions religieuses uniquement pour le cercle familial et pactiser plus ou moins avec l’esprit du monde dans sa vie professionnelle. On se donne comme prétexte que, de nos jours, il n’y a pas d’autre solution que de faire quelques compromis. C’est oublier les exigences de l’évangile. Ce qui est sûr, c’est que la royauté du Christ est destinée à s’exercer dans le domaine temporel. On entend par là, les institutions, la politique et la culture.
B. Sa royauté visible sur les sociétés :
La raison en est la suivante. Le Christ est un roi universel, Il a créé l’univers visible et invisible. Son règne doit donc s’établir sur toutes les activités humaines, rien ne doit échapper à son empire, tout doit lui être soumis, au moins de façon indirecte. Telle est la doctrine enseignée par Pie XI dans son Encyclique Quas primas. Il institua la fête du Christ-Roi pour lutter contre le laïcisme, et rappeler la place qui revient de plein droit à Dieu dans la société. Jésus-Christ est vraiment Roi, il doit donc régner sur les familles, les entreprises, les institutions, les arts et la culture, le domaine de la santé publique, etc. Le Christ est le Créateur de l’être humain et le fondateur de la société humaine. A ce titre, il est nécessaire que les sociétés lui rendent un culte public. Il possède un droit strict à ce que les chefs d’Etat et les corps intermédiaires reconnaissent sa souveraineté sur l’ordre temporel en son entier. A regarder la situation actuelle de notre pays, nous sommes bien loin de rendre les hommages publics qui reviennent au Christ. Un sursaut de la part des catholiques est nécessaire pour que progressivement nous puissions réintroduire l’esprit chrétien là où il s’est perdu. Tout catholique, quel qu’il soit, peut œuvrer dans ce sens et chacun possède un rôle irremplaçable. Comme le dicton le rappelle, les petits ruisseaux font les grands fleuves. Il nous faut instaurer le règne du Christ-Roi sur notre personne, sur nos familles et dans le domaine public qui dépend de nous, selon le métier que l’on exerce dans la cité. Il y a mille et une manières de restaurer l’ordre chrétien autour de soi. Et sa construction passe parfois par des actions modestes. Elles ont plus de poids qu’il n’y paraît.
II. Les droits du Christ-Roi défendus par les Cristeros :
Pour nous encourager dans cet effort, souvenons-nous des exemples héroïques laissés par les Cristeros mexicains. De 1926 à 1929, un peuple chrétien s’est armé de machettes et de fusils pour faire face à la république marxiste et franc-maçonne. A l’époque, le gouvernement mexicain multipliait les lois contre l’Eglise et s’engageait dans une persécution sanglante contre les catholiques. Pour apaiser le climat, les évêques des Etats du Mexique ont cru bon de suspendre le culte public : plus de célébration de Messes, plus de mariages célébrés, plus de baptêmes, ni de confessions. Les évêques pensaient apaiser de cette façon la situation. Le peuple chrétien, lui, s’est levé pour proclamer les droits inviolables de Dieu. Ils furent des milliers à offrir leur vie, massacrés par les armées fédérales républicaines. Plus de 34 d’entre eux ont été canonisés par Jean-Paul II et Benoît XVI, sans compter les nombreuses béatifications. Recueillons l’exemple héroïque du Bienheureux Luis Magana Servin. Il appartenait à l’Association catholique de la Jeunesse Mexicaine et était membre de l’Adoration nocturne du Saint-Sacrement dans sa paroisse d’Arandas. Il a 26 ans quand la ville est prise d’assaut par l’armée fédérale pour fusiller les sympathisants des Cristeros. Luis est sur la liste des suspects, il prend la fuite quand les soldats défoncent la porte de sa maison. Le général Martinez fait savoir que son petit frère sera fusillé à sa place. Luis vient aussitôt se remettre entre les mains de ses ennemis. Il s’adresse ainsi au général : « Je n’ai pas pris les armes, mon général. Mais si c’est seulement d’être chrétien que vous m’accusez, à la bonne heure, je suis votre homme : relâchez mon frère et fusillez-moi. Vive le Christ-Roi et Notre-Dame de Guadalupe ! » Il était trois heures de l’après-midi, ce 9 février 1928, lorsque Luis reprit le cri de ralliement des Cristeros face aux soldats qui le fusillèrent. Il les assura de son pardon et de son intercession en leur faveur auprès de Dieu.
Aimons à invoquer les martyrs Cristeros qui ont versé leur sang pour l’honneur du Christ-Roi. Demandons leur intercession pour que nous mettions le Christ à la première place dans notre cœur, dans nos familles et dans la société pour autant que cela dépende de nous. Prenons des résolutions concrètes pour que sa doctrine inspire nos paroles et plus encore nos actions. Jésus-Christ est Roi par naissance et par conquête, sachons lui rendre le culte intérieur et extérieur qu’Il attend de notre part. Nous contribuerons par nos efforts à étendre « son royaume de justice, d’amour et de paix » (Préface de la fête du Christ-Roi).
Père Bertrand-Marie Guillaume