Sermon pour l’octave de Noël - fête de la Circoncision
+ En ce jour octave de la Nativité, premier jour de l’année civile, l’Église propose à notre méditation, dans un évangile qui est le plus bref de l’année (un seul verset, le verset 21 du chapitre 2 de saint Luc), le fait historique de la circoncision physique de notre Sauveur. Conformément à la loi de Moise, huit jours après sa naissance, le nouveau-né fut circoncis, et on lui donna en même temps le nom de Jésus, qui lui avait été attribué par l’ange, avant sa conception.
Ce mystère de notre fête peut être considéré d’un double point de vue : par rapport à notre Seigneur, et par rapport à nous. Examinons déjà la circoncision du point de vue de Jésus.
La circoncision était une sorte de sacrement de l’ancienne Loi qui signifiait la purification de la faute du péché originel ; c’était comme une profession de foi en l’attente de la venue de notre Seigneur. Ceux qui étaient circoncis devenaient enfants et amis de Dieu, d’ennemis qu’ils étaient auparavant. Ils étaient aussi mis à part, consacrés de manière spéciale au Seigneur ; ils faisaient partie peuple de Dieu ; ils étaient différents de tous les autres peuples.
Évidemment, notre Sauveur, lui, n’avait pas besoin d’être circoncis. D’abord parce qu’il est le Législateur suprême qui peut toujours se dispenser de sa propre Loi. Mais aussi et surtout parce qu’il n’a point de péché ; il est le Fils de Dieu par nature et par conséquent très saint, et comblé de la plénitude des grâces ; son âme fut toujours impeccable et glorieuse, jouissant de la vision de Dieu. Il n’a pas non plus besoin d’être marqué d’un signe pour être consacré, puisqu’il est lui-même « l’effigie, le sceau, de la substance » du Père éternel (He 1, 2).
Néanmoins, il a voulu se soumettre à cette loi douloureuse de la circoncision. Le Christ est en effet venu sur la terre pour nous sauver – ce que signifie et réalise son saint nom de Jésus (Dieu sauve) qui lui est donné en ce jour. Certes, il aurait pu accomplir la rédemption par une seule parole ou par un seul acte. Mais il a voulu que l’acte suprême de notre rédemption, son sacrifice sur la croix, soit précédé et préparé par toute une série d’actes particuliers, dont la croix serait le couronnement. L’un de ces premiers actes est précisément la circoncision. Aujourd’hui coulent les premières gouttes du sang rédempteur. C’est le premier sacrifice, le sacrifice du matin, que suivra un jour, le sacrifice du soir, sur la croix. Le bois de la crèche, le couteau de la circoncision annoncent la croix, les clous et la lance. Aujourd’hui quelques gouttes de sang ; dans 33 ans tout le sang jusqu’à la dernière goutte.
Mais si l’Enfant-Jésus a voulu ainsi se soumettre à cette loi de la circoncision, c’est aussi pour nous donner un exemple de la circoncision que nous devons pratiquer. Rassurez-vous, je ne suis pas en train de vous dire après un réveillon de nouvel an trop arrosé, qu’il nous faut embrasser le judaïsme. Il s’agit de comprendre que la circoncision corporelle de notre Seigneur et des Hébreux, est une image ou représentation de la circoncision spirituelle que nous devons tous faire, hommes et femmes.
Bien que nous ayons été sanctifiés à notre baptême, nous portons toujours notre en nous nature corrompue, nous avons besoin d’une circoncision du cœur continuelle. Telle sera notre coopération à l’œuvre de la rédemption qu’a accompli Jésus-Christ en versant son sang. Cette circoncision spirituelle n’est autre que la mortification de nos passions. Elle consiste donc à rechercher ces passions, affections, inclinations et à en retrancher ou couper tout ce qui est désordonné, excessif, superflu. Et pour cela, il est besoin d’un sérieux examen pour reconnaître quelle est la partie de nous-mêmes la plus atteinte (notre défaut dominant), afin de commencer à appliquer le couteau là où cela fait mal. C’est le principe même de la circoncision : elle atteint la partie du corps la plus malade et la plus blessée par le péché.
Il y a par exemple des chrétiens qui savent bien circoncire leur avarice, en faisant beaucoup d’aumônes, mais qui restent voluptueux et charnels. Ce faisant ils ne plantent pas le couteau là où cela fait le plus mal, ils ne retranchent pas la partie la plus malade de leur âme, ils ne circoncisent pas leur cœur, mais leur portefeuille. Il y en a d’autres qui pratiquent beaucoup de pénitences, veilles, jeûnes, mais, attachés à leur argent et leur confort, ils refusent de se priver du superflu. Ils n’appliquent pas le couteau de la circoncision là où il faut. D’autres prient énormément, font oraison, mais ils trempent leur langue dans le sang du prochain, en médisant et critiquant. Ou, s’ils tiennent leur langue, ils grommellent sans cesse dans leur cœur, ils murmurent et jugent sans cesse leur prochain, quand ils ne sont pas dévorés par la jalousie : le mal est caché dans leur cœur, ce n’est donc pas tout de circoncire la langue : il faut faire la circoncision en l’endroit le plus malade. La circoncision doit être d’abord intérieure.
Saint François de Sales, fin connaisseur de l’âme humaine, observe que la circoncision n’est pas une simple incision. « La plupart des chrétiens font des incisions au lieu de faire des circoncisions : ils donnent bien quelque coup au membre infecté, mais ils n’apportent pas le couteau pour couper et retrancher du cœur ce qui est superflu. » Ils se contentent de lutter contre un vice, mais ils croupissent dans mille autres péchés. « Oh disent-ils, nous n'avons point tué, nous n’avons point dérobé. » C’est vrai. Mais il y a d’autres péchés que ceux-là, qui sont peut-être aussi dangereux que ceux que vous dites n’avoir pas commis. Dieu n’a pas seulement deux préceptes dans sa Loi ; il y en d’autres qu’il faut nécessairement observer pour être sauvé. Se contenter d’observer certains commandements, c’est ne pratiquer qu’une incision, sans se soucier de circoncire toutes les habitudes vicieuses. Il faut donc aller tout à l’entour du cœur : racler et couper tout cela nettement et absolument ; ne pas se contenter de faire des incisions, mais faire de bonnes circoncisions spirituelles et intérieures.
Le saint évêque de Genève observe aussi finement que selon l’Ancienne Loi, celui qui devait être circoncis ne se circoncisait pas lui-même, mais il l’était par la main d’autrui. C’est ainsi que le fut notre Sauveur, pour notre exemple, afin de nous montrer que, bien que ce soit une bonne chose de se circoncire soi-même, il est meilleur d’être circoncis par les autres. Car cette circoncision est plus douloureuse et plus méritoire.
Ce qui vient de notre invention ou que nous faisons par notre propre choix ne nous coûte quasiment rien, tant il s’y mêle souvent beaucoup d’amour-propre. Mais si quelqu’un vient nous dire : « Père R., vous êtes nul, vous êtes un incapable, vous êtes pénible aux autres, vous avez encore mal fait ceci ou cela, on ne peut pas compter sur vous », ou quelque chose de semblable, alors notre sang ne fait qu’un tour. Nous sommes tout troublés, nous sentons promptement des mouvements de colère ; nous ne pouvons supporter de tels reproches et nous cherchons au moins intérieurement de beaux discours pour nous justifier, pour nous excuser. Par-là même, nous voyons combien il est nécessaire qu’un autre prenne en main le couteau pour nous circoncire, car il sait beaucoup mieux que nous-mêmes où il le faut appliquer.
Certains ne manqueront pas d’objecter : « Tout cela, je l’ai fait. J’ai plusieurs fois mis la main au couteau pour couper telles passions ou telles inclinations, telles répugnances ou aversions que je vois dans mon cœur incirconcis ; et pourtant je les sens toujours, ces fortes passions, dégoûts, répugnances, aversions, antipathies. Et tous ces mouvements ne cessent de me travailler et de me faire la guerre. Je suis même entré dans la vie religieuse où je me fais tous les jours circoncire cruellement par les frères qui manient le couteau sans délicatesse et sans antiseptique. Et pourtant, la chair repousse sans cesse. »
Hé ! C’est que nous ne sommes pas venus ici pour nous reposer, mais pour souffrir. Au Ciel, il n’y aura que paix et joie ; nous ne sentirons plus aucune passion, mouvement d’envie, d’aversion, de répugnance, mais nous jouirons de la paix et du repos. Mais ici-bas, il nous faut souffrir et nous circoncire sans cesse. Et, c’est une des raisons pour laquelle l’Église, dans sa sagesse, nous présente chaque début d’année cet Évangile.
Mes biens chers frères, je vous souhaite à tous un joyeux nouvel an de grâce. Je prie pour qu’il soit plus heureux que celui qui vient de s’écouler. Dans les vicissitudes de cette vallée de larmes, il y aura bien des circoncisions à subir et à opérer, mais nous pouvons et nous devons nous appuyer avec confiance sur les grâces que l’Enfant-Jésus, par sa Très sainte Mère, ne manquera pas de nous accorder. Entrons donc en 2023 avec un cœur circoncis et joyeux d’une joyeuse espérance. +