Chaque année toute la communauté fait une trêve d'apostolat pour fêter ensemble notre bienheureux Père saint Dominique. Nous vous transmettons ci-dessous l'homélie de notre fondateur, le Père Louis-Marie de Blignières.

Les nobles origines de notre bienheureux Père, son tempérament castillan plein de fougue, son attitude de respect vis-à-vis des institutions médiévales qui l’ont formé, ainsi que sa fidélité aux autorités dont il dépend, nous incitent déjà à sentir en Dominique l’âme d’un vrai chevalier.

Mais ce en quoi sa chevalerie révèle son caractère singulier et garde son actualité, ce qui nous touche au cœur, c’est son œuvre propre, rappelée par la Préface de sa fête : « Il a renouvelé la vie apostolique, combattu l’hérésie, institué des athlètes de la foi et gagné au Christ des âmes innombrables ». La vie apostolique que renouvelle Dominique, c’est la Vérité contemplée et transmise. Oui, notre Père est bien un chevalier, mais un chevalier de la Vérité. En Dominique brillent les deux facettes de toute chevalerie, le courage du combat et la beauté du service gracieux. La Vérité est un combat, et la Vérité est une grâce.

La Vérité est un combat

Pour saisir l’âme chevaleresque de Dominique, il faut comprendre que notre Père est tout entier dans un cri : « Seigneur, que vont devenir les pécheurs ? » Dominique – pour reprendre le mot fameux d’un de ses fils (le père Molinié) – a d’abord « le courage d’avoir peur ». Il sait que l’homme est si grand qu’il peut se perdre à jamais. Il sait que l’antique ennemi dispute les âmes au Sauveur, et que beaucoup, hélas, se damnent. Il sait que la vie du chrétien n’est pas une promenade égayée d’œuvres philanthropiques, mais une guerre sans merci contre le péché et l’erreur. Il sait que le combat de la vérité a un enjeu en quelque sorte infini : le salut éternel. Hors de cette angoisse du salut, qui fait aujourd’hui défaut à tant de fidèles et de pasteurs, il est impossible de comprendre la profondeur du regard de Dominique, dans la fameuse peinture où Fra Angelico le représente, étreignant les pieds du Crucifié et suppliant le Sauveur de faire miséricorde.

Tout le souci de notre Père est d’amener les âmes au Sauveur crucifié. S’il restaure la vie apostolique, c’est pour que des apôtres y trouve le moyen de gagner les âmes à la Vérité. Pour cela, ses disciples devront travailler à devenir d’autres Christs, rayonnant comme naturellement la Vérité du Sauveur, par toute leur conviction et par tout leur genre de vie. Il faut qu’ils aiment les hommes comme l’a fait le Seigneur Jésus, à la mesure de leur grandeur. Notre Père communique à ses fils l’angoisse qu’il a pour le salut. Et il les motive pour un autre aspect du combat de la Vérité : « Notre étude doit tendre par principe, avec ardeur et de toutes nos forces à ceci : nous rendre capables d’être utiles à l’âme du prochain »[1].

Oui, notre studium – notre effort, notre application, notre préoccupation – c’est de nous rendre capables d’être des instruments du Sauveur dans son œuvre. Voilà une puissante motivation pour nous convertir ! Comme le remarquait le père Jean de Menasce, cela doit être une part de notre tourment apostolique. « Il faut beaucoup d’amour pour désirer pour les autres leur vérité, qui est la Vérité accommodée à leur appétit et à leur capacité. Dès que l’on a compris que “ne pas donner de manière à être reçu”, c’est priver les autres, leur refuser l’aumône, on met tout son amour à disparaître derrière la vérité à donner » [2].

La Vérité est une grâce

Notre bienheureux Père sait que la Vérité n’est pas seulement une conquête ardue, elle est surtout une grâce. Pour que le cœur s’ouvre à la Parole de Dieu, il faut qu’il soit touché par l’Esprit Saint. Pour que le prédicateur prépare le cœur à s’ouvrir, il faut qu’il habite la Vérité, ce qui est aussi une grâce. Il faut qu’il vive surnaturellement le mystère avec lequel il cherche à mettre l’auditeur en contact. Il faut que lui-même, docile aux dons du Saint-Esprit, tende à la contemplation infuse des mystères du salut.

Comment le pourra-t-il ? Dominique propose à ses fils les voies de la piété. « Ce qui est austère, ce qui est sage, ce qui est beau », voilà ce qu’il retient des anciens usages. En cela il est profondément traditionnel. Il sait que Dieu choisit ses amis parmi ses serviteurs fidèles. Pour structurer efficacement le désir de la contemplation, les mortifications de la vie régulière, l’étude assidue, l’office divin sont des voies royales. Tout simplement parce que ces moyens donnent le cadre de la liberté de l’âme, en la mettant au contact ascétique, théologique et liturgique avec la Vérité.

Dominique manifeste, là encore, son âme de chevalier : il a le sens inné des médiations. Il comprend d’instinct le rôle de la piété envers les frères dans la vie commune ; de la piété envers les maîtres de la pensée chrétienne ; de la piété envers Dieu dans la grande liturgie. Ces trois choses feront de ses fils de vaillants combattants, affrontant les longues purifications, et elles nourriront en eux, comme en des « amants de la beauté spirituelle », le désir de parvenir à la contemplation.

La Vérité que Dominique nous propose de contempler est une grâce offerte à qui cherche passionnément le Christ. La Vérité qu’il nous demande de transmettre est un beau service rendu aux membres du Christ. La Préface parle de decorem Ecclesiæ, l’honneur ou la beauté de l’Église. Oui, c’est un beau service que d’exercer la miséricorde de la Vérité. C’est faire aux hommes la confiance et l’honneur de s’adresser à la plus haute partie d’eux-mêmes : leur soif de vérité et d’amour spirituel. C’est transmettre la vérité révélée, comme le faisait le Christ, en s’adressant au cœur humain anobli par la grâce. « Plus une vérité est noble, – écrit Romano Guardini – et plus aisément les réalités grossières peuvent la pousser de côté ou la couvrir de ridicule, plus elle doit compter sur l’attitude chevaleresque de l’esprit »[3].

Quelle belle actualité que cet idéal ! Rendre leur fierté et leur honneur aux âmes veuves de la foi et orphelines de la joie ! Montrer la cohérence du dogme chrétien, sa crédibilité au regard de la raison, son efficace pour mener à la contemplation du doux mystère du Christ ! Bien souvent, nous expérimentons dans notre vie apostolique la surprise joyeuse des convertis. Venant de l’islam, du judaïsme, de l’agnosticisme ou simplement d’une confuse tiédeur, ils se redressent intérieurement, émus et heureux de découvrir la splendeur de ce qui nous est connu de Dieu et de son histoire du salut ; et d’entendre l’appel à vivre, dans la grâce du Christ, la joie de l’apostolat.

Personne certes ne possède la Vérité. Mais celui qui découvre qu’il est à l’image de Dieu, que son baptême a fait de lui une « humanité du surcroît » du Christ, comment l’empêcher de parler ? Comment vouloir qu’il cèle à ses frères en humanité ce grand trésor, qui est pour eux aussi ? Comment ne pas se réjouir qu’il soit devenu, lui aussi, dans l’humilité de sa personnalité propre, un chevalier qui veut protéger les petits en les conduisant à leur unique et loyal Seigneur ?

Si le suzerain dont notre bienheureux Père est le preux vassal, c’est le Roi Jésus, la Dame dont il porte les couleurs, c’est la Vierge Marie. C’est le regard de la Femme aimée qui donne du courage à l’homme qui en est épris. C’est sous le regard de leur Dame que Dominique et ses fils reçoivent la force pour affronter les épreuves de l’apostolat. Au Salve Regina, dans la quiétude du soir, leur vie, entre le courage du combat et le service gracieux de leurs frères, trouve tout son sens. Ils sentent que, d’auprès de leur Reine, leurs aînés dans la vie apostolique, déjà parvenus à la Cour céleste, se penchent sur eux, avec un amical sourire. Ils sentent posé sur eux le regard de leur Mère qui leur prépare une place, à eux et à tous ceux qu’en bons chevaliers de la Vérité, ils auront menés aux pieds du Roi Jésus.

Fr. Louis-Marie de Blignières

[1] Constitutions FSVF, n°67 § I.
[2] Jean de Menasce, o. p., La porte sur le jardin, p. 225.
[3] Romano Guardini, Le Seigneur, Alsatia, 1945, t. 2, p. 253.

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