À l’occasion des 600 ans de la mort de saint Vincent Ferrier (1350-1419), la Fraternité du même nom, organise l'exposition « Saint Vincent Ferrier, voix de Dieu au cœur de la guerre de Cent Ans ».
Entretien avec le Père Augustin-Marie Aubry, et Jacques Charles-Gaffiot, commissaire de l’exposition.
Pourquoi un tel projet ?
P. Augustin-Marie Aubry : Organiser une exposition dans un petit village de Mayenne peut paraître une gageure. Nous l’avons fait par piété filiale envers notre saint patron. En cette année jubilaire, nombreuses ont été les manifestations célébrant le prédicateur
valencien mort à Vannes en 1419. Cette exposition est notre pierre à l’œuvre commune.
Jacques Charles-Gaffiot : Depuis trente ans, j’organise en France ou à l’étranger des expositions, qui, pour certaines, ont connu un véritable succès. J’ai donc été heureux et honoré de pouvoir apporter à la Fraternité Saint-Vincent-Ferrier une participation à la célébration du sixième centenaire de son saint patron.
Quel intérêt y a-t-il à évoquer une figure si lointaine ?
J. C.-G. : Cette figure des XIVe-XVe siècles n’est pas si éloignée du monde d’aujourd’hui. Vincent connaît une époque presque aussi troublée que la nôtre. Les remèdes qu’il préconise peuvent aujourd’hui encore guérir bien des blessures et apporter des solutions efficaces aux difficultés actuelles. Agir avec un sens aigu de la conscience offre des perspectives sans doute plus efficaces que céder aux mirages d’une société de consommation ou aux idéologies dévastatrices de ce début du XXIe siècle.
A.-M. A. : Je renchéris : la distance n’est qu’apparente. Je fais parfois remarquer aux visiteurs que nous avons aujourd’hui des « apôtres » qui prêchent aux foules la « fin du monde ». On les reçoit jusque dans les parlements, comme Greta Thunberg (jeune activiste écologiste, NDLR). Saint Vincent s’est présenté comme « l’Ange du Jugement » de l’Apocalypse. La différence, de taille, est le mot d’ordre : non pas « sauvez la planète ! », mais « sauve ton âme ! »
Quelle est la valeur apostolique d’un tel événement ?
A.-M. A. : Je constate la portée apostolique de l’exposition par la variété du public. Du touriste à l’historien, en passant par l’esthète ou l’adolescent curieux (il y en a !), saint Vincent et son époque, celle du Grand Schisme, attirent et intéressent. Sa haute figure impressionne quand on l’imagine tenant tête à l’opiniâtre Benoît XIII. Elle fascine quand on le voit prêchant à tous une parole qui retourne les cœurs, comme le jardinier retourne la terre pour y planter le bon germe. Elle émeut quand il se penche sur les humbles pour guérir et consoler. À l’aise à la cour d’Avignon aussi bien que dans le dernier des villages bretons, le « Bonhomme Vincent », ainsi qu’on l’appelait, refait en son siècle la geste des Apôtres. Il nous convainc donc qu’il n’est jamais trop tard pour espérer.
J. C.-G. : Depuis longtemps, l’Église a abandonné le monde de la culture, jugé trop mondain. Pourtant les arts mis au service de l’expression de la foi, de la liturgie, etc., visent à vaincre le Mal non seulement par le Bien, mais aussi par le Beau.
Quelle place doit jouer selon vous la culture dans l’évangélisation ?
J. C.-G. : Une place de choix certainement. Combien de fois ai-je fait l’expérience du désir d’apprendre ou de comprendre de la part de visiteurs qui mesurent combien l’accès à la culture leur a été confisqué, n’ayant même pas eu droit aux miettes qui tombent de la table du repas mentionné dans l’Évangile ! On fait encore l’erreur de penser que l’image demeure un pâle substitut de l’écrit ou de l’oral, ajoutant que, peintes ou sculptées, les images s’adressent en priorité aux petites gens et aux illettrés. Rien n’est plus faux. L’image a été introduite dans le sanctuaire chrétien, car elle seule possède la capacité de livrer instantanément tout le contenu de son message. Auditeurs et lecteurs font quant à eux une expérience inverse, demandant du temps et une attention soutenue. Ainsi, au sein de la pastorale ou de l’évangélisation, la culture conserve une part essentielle qu’il est urgent de redécouvrir.
A.-M. A. : Saint Thomas d’Aquin nous apprend à distinguer pour unir. Distinguer les ordres naturel et surnaturel, tout en soulignant leurs rapports : « La grâce ne détruit pas la nature, elle la présuppose. » Je crois que la culture est appelée à jouer un rôle dans cette harmonie. La culture n’est pas extérieure au fait de nature ; elle est le fruit de l’homme qui déploie sa capacité de sagesse. À ce titre, la culture est aussi terreau de la grâce. On ne bâtit pas sur rien : une culture authentique est l’indispensable étai d’une prédication des vérités du Royaume.
France Catholique, édition du 20 septembre 2019